À moins d’habiter dans une grotte, je pense qu’on a tous été sensibilisé au fait que la planète se réchauffe progressivement – et que la cause de ce réchauffement est à chercher du côté des émissions d’origine humaine de gaz à effet de serre. Alors on nous enjoint de prendre notre vélo, de ne pas abuser de nos voitures ou de nous équiper de panneaux solaires. Et si la solution était plutôt de taper dans nos portefeuilles – par exemple avec une taxe carbone ?
Une question d’offre et de demande
Pour un économiste (entendez- par là : pour un chercheur en économie), si nous polluons autant c’est parce que cela ne nous coûte rien. Regardez plutôt : recevons-nous une prime lorsque nous prenons notre vélo ? Devons-nous payer un surcoût lorsque nous sommes obligés de prendre notre voiture matin et soir pour aller au travail ? Que l’on pollue peu, ou énormément, notre dépense est la même : zéro. Et ça, c’est un problème.
Si l’on fait un petit détour par la loi de l’offre et de la demande, on le comprend tout de suite : lorsque le prix d’un bien ou d’un service diminue, de manière presque « mécanique » sa consommation… augmente. On l’a bien vu avec les ordinateurs de bureau : à plusieurs milliers de dollars le Mac dans les années 1980, peu avaient les moyens d’en acheter, alors qu’à 400€ aujourd’hui, tout le monde peut s’en acheter un. Que se passe-t-il avec les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? Comme je l’expliquais plus haut, polluer est gratuit. C’est donc comme si le prix de la pollution était de… zéro. Alors déjà qu’une baisse de prix est capable de faire augmenter les quantités consommées de manière considérable, on imagine bien l’explosion qu’il se produit lorsque ce prix devient carrément zéro !
La solution des économistes est assez simple : pour résoudre ce problème, que l’on appelle « externalité », il faut que la pollution devienne coûteuse. C’est le fameux principe du « pollueur payeur ». Et pour la rendre coûteuse, l’une des options les plus couramment utilisées est celle des taxes dites « pigouviennes » (elles portent ce nom car c’est Arthur Cecil Pigou qui en a découvert le principe en 1920, dans son ouvrage The Economics of Welfare).
Les taxes carbone, exemple classique d’une taxe pigouvienne
L’idée de ces taxes est simplissime : après avoir déterminé le niveau cible de pollution que l’on veut atteindre (par exemple en posant la question à des climatologues), on va calculer à l’aide de simulations le montant que la taxe doit prendre pour que la société atteigne cet objectif (et si l’on se trompe, on pourra toujours corriger plus tard). Dans le cas de la France, la « Contribution climat-énergie » mise en place depuis 2014 et portant sur les émissions de dioxyde de carbone, voit son montant doucement croître d’année en année : de 7€ la tonne de CO2 en 2014, on aboutira progressivement à 30,50€ en 2017 (ce sont des montants assez classiques pour une tonne de CO2, dont on estime le « juste prix » dans une fourchette comprise entre 20€ et 100€).
Si le graphique ne s’affiche pas, cliquez ici.
Très souvent, les taxes pigouviennes, dont les taxes carbone sont probablement l’exemple le plus connu, sont progressives. Car leur objectif n’est pas de « punir » les pollueurs mais plutôt de les inciter à faire des économies en s’équipant (rapidement) de technologies moins polluantes. Et ce type de changement prend forcément du temps.
Un impôt de plus, vraiment ?
Cela nous amène à la question de savoir qui paye cette taxe. Pour que ces taxes aient un sens, il faut qu’elles soient proportionnelles à la quantité de polluant émise (plus j’émets, plus je paye). Toutefois, elles supposent aussi de pouvoir observer qui émet quoi. Et on voit tout de suite le problème que poserait de suivre les émissions de tout le monde : ça serait tout simplement impossible ! Pour résoudre ce problème, ce que l’on fait est que l’on va taxer les intermédiaires, qui sont moins nombreux et donc plus faciles à contrôler. On peut par exemple imaginer taxer les producteurs d’électricité plutôt que les clients finaux : il y a moins de centrales à surveiller (donc on minimise aussi le risque de fraude), et les clients restent touchés par l’effet de cette taxe puisqu’un producteur d’électricité qui ne ferait pas d’effort serait obligé de répercuter la taxe sur ses prix de vente (donc payés par ses clients). On comprend d’ailleurs tout de suite pourquoi il a intérêt à investir dans des technologies plus vertes pour éviter cette situation, s’il souhaite conserver ses clients…
Enfin, on peut aussi se dire que finalement, cette taxe c’est « une taxe de plus ». C’est le risque. Mais dans l’esprit de Pigou (et dans celui d’une immense majorité d’économistes aujourd’hui), l’objectif d’une taxe pigouvienne n’est pas de faire rentrer davantage de fonds dans les caisses de l’État mais de changer des comportements dans un sens plus favorable à la collectivité. Dit autrement, les économistes recommandent que ces taxes soient « neutres fiscalement » : pour une taxe pigouvienne créée, il faudrait dans l’idéal une taxe de montant équivalent supprimée ailleurs, pour que le niveau global d’imposition reste inchangé. Malheureusement, la mise en application de cette neutralité fiscale dépend des gouvernements – ces derniers pouvant, s’ils le souhaitent, aussi utiliser ces taxes pour augmenter leurs rentrées fiscales. C’est dommage, car la neutralité fiscale assure une forme d’adhésion des contribuables à ce type de mesure – et vu l’urgence de la situation, si l’on peut éviter de perdre du temps ça n’est peut-être pas mal !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
En conclusion, d’après moi ces taxes carbones ont plein d’avantages qui expliquent pourquoi elles sont si souvent au cœur du débat : simples à mettre en œuvre (et donc peu coûteuses), lisibles pour le grand public et efficaces à moyen terme. Surtout, elles sont robuste au green washing, cette technique de communication qui consiste à faire passer pour plus verts qu’ils ne le sont réellement certains produits : si le bien ou service est polluant, il sera taxé, point barre. Aucun artifice de communication ne pourra y changer quoi que ce soit ! C’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’elles sont si efficaces.
Et vous, êtes-vous prêt(e) à payer une taxe carbone pour réduire vos émissions de CO2 ? N’hésitez pas à dire pourquoi dans les commentaires !
[polldaddy poll=9440440] [accordion] [pane title= »En résumé » start=open]- Les taxes carbone sont un exemple de taxe pigouvienne.
- Elles permettent de réduire la consommation d’un bien ou service surcommé (par exemple l’air pur), en faisant augmenter son prix (qui est parfois équivalent à un prix nul).
- Elles n’ont pas pour but de faire augmenter les impôts, mais de modifier nos comportements dans un sens considéré comme souhaitable.
- Regulation and pigouvian taxes, Hunt Allcott, MIT
- Pigovian tax, Wikipedia
- The Economics of Welfare, Arthur C. Pigou, 1920
Pour aller plus loin : le groupe Passeur d’Éco sur Mendeley (articles scientifiques).
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