L’obscurantisme menace depuis bien longtemps la bonne compréhension de l’économie par les citoyens français. Sauf que cette fois-ci, deux économistes publient un ouvrage pour porter la contradiction à celles et ceux qui propagent leur message d’ignorance. Et ça tombe bien, parce qu’avec Passeur d’Éco, je poursuis exactement le même objectif.
Ces « négationnistes » qui ruinent la science économique – Le Point:
Dans leur dernier livre, Pierre Cahuc et André Zylberberg, deux spécialistes du marché du travail, s’en prennent au « négationnisme économique »*. Comprendre des contre-vérités économiques pourtant reprises par nombre d’observateurs et médias et même des économistes happés par leur idéologie personnelle.
Je viens de découvrir la publication prochaine de cet ouvrage Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser, que je vais m’empresser de lire dès qu’il sortira (le 7). Je ne doute pas qu’il va fortement agiter certains cercles – et c’est tant mieux, car il y a grand besoin de mettre un coup de pied dans la fourmilière.
À ce propos, je peux déjà vous fournir quelques éléments de contexte pour essayer de comprendre le débat dans lequel il s’inscrit, et aussi vous expliquer un peu ce que j’en pense. C’est parti !
Qui sont Pierre Cahuc et André Zylberberg ?
Pierre Cahuc et André Zylberberg sont deux économistes français, qui travaillent en économie du travail. Le premier est professeur à l’École Polytechnique et chercheur au CREST (le centre de recherche de l’INSEE), et le second est directeur de recherche émérite au CNRS, rattaché à la Paris School of Economics.
D’un point de vue scientifique, ces deux chercheurs sont sans conteste des piliers de leur discipline. Ils ont également écrit (avec Stéphane Carcillo) un manuel de référence en économie du travail, Labor economics (manuel que je connais un peu pour l’avoir potassé au début de ma thèse).
Enfin, ils participent assez régulièrement au débat public sur l’emploi, avec des ouvrages dont je vous recommande chaudement la lecture comme Le chômage, fatalité ou nécessité ? ou La Société de défiance (librement accessible ici) et sa suite, La Fabrique de la défiance.
De quel débat est-il question ?
Cet ouvrage se positionne sur deux débats assez souvent mêlés dès lors que l’on parle d’économie (au moins en France) :
- L’économie est-elle une science ?
- Quelle est la légitimité de celles et ceux que l’on entend dans les médias ?
Pour le dire assez simplement, il existe en effet dans les médias un certain nombre de “chercheurs”, disons d’intellectuels, qui déversent à tort et à travers une pensée supposément très “critique” vis-à-vis de la théorie scientifique dominante en économie. Ils sont particulièrement minoritaires dans le champ scientifique, mais ultra-dominants dans le champ médiatique.
À ce titre, on peut comparer le phénomène qu’ils représentent à celui des climatosceptiques, qui n’ont aucun poids dans le champ scientifique. On pourrait même pousser la comparaison en observant que beaucoup de climatosceptiques ne sont pas climatologues, de la même manière que beaucoup de ces “intellectuels” ne sont eux-mêmes pas… économistes…
Le discours de ces critiques passe évidemment très bien, vu qu’il s’articule autour d’une narration très populaire du type “David contre Goliath”. Car comprenez bien, d’après eux la science économique dominante serait à la solde des puissants, qui serait (faites votre choix) la finance, les riches, les politiciens, les multinationales, la droite, la gauche… Comment ne pas faire de l’audience avec un propos aussi populiste ?
Et Passeur d’Éco, dans tout ça ?
Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris (et probablement vous non plus, à la lecture des trois derniers paragraphe) : il me faudra lire l’ouvrage pour me faire un avis, mais de base, je suis particulièrement sensible aux arguments de Cahuc et Zylberberg. A minima, je suis au moins aussi critique qu’eux sur le danger extrême que représentent le discours de ceux à qui ils portent la contradiction.
Une lutte nécessaire contre l’obscurantisme
Passeur d’Éco est né du même constat que celui fait par Cahuc et Zylberberg : les médias sont, sur les questions économiques, au mieux mal informés, au pire l’otage de quelques pseudo-chercheurs, francs tireurs bercés d’une insupportable idéologie et qui sont extrêmement minoritaires dans le champ académique (pour ne pas dire en voie de disparition, comme l’illustre leur tentative récente de coup d’État avec une nouvelle section du CNU). Or, face à cette meute d’idéologues, on entend très, trop peu de chercheurs mainstream pour leur porter la contradiction – et à cet égard, l’ouvrage de Cahuc et Zylberberg est quasiment d’utilité publique… La plupart du temps, toute cette petite entreprise idéologique peut donc continuer assez tranquillement.
Avec Passeur d’Éco, mon ambition est d’expliquer ce qu’est la science économique, ses grands résultats et la manière dont elle se construit au quotidien en étant le plus fidèle possible au consensus scientifique (et lorsque c’est “moi” qui parle, de le dire clairement). Car derrière mon projet (et certainement aussi l’ouvrage de Cahuc et Zylberberg), il y a l’idée de l’honnêteté. De ne pas prendre les lecteurs, les auditeurs et les spectateurs (et probablement aussi un peu soi-même) pour des imbéciles.
Je ne sais pas pour vous, mais nier des connaissances scientifiques (que souvent ces gens ne comprennent même pas) pour des raisons idéologiques, j’appelle ça de l’obscurantisme. Et je pense qu’il n’est guère utile de préciser les dangers terribles qu’il représente, en particulier sur la démocratie. Les britanniques se seraient-ils tirés une balle à plusieurs centaines de milliards d’euros dans le pied si le débat sur le Brexit n’avait pas été mêlé d’obscurantisme ? Peut-être pas…
Le piège de la pensée hypercritique
Alors certes, la science économique n’est pas parfaite, elle a encore beaucoup à faire et à prouver, notamment d’un point de vue méthodologique – mais n’est-ce pas le cas de toutes les sciences ? La physique, qui est parfois présentée comme “la mère de toutes les sciences”, ne souffre-t-elle pas depuis plusieurs décennies d’une crise théorique, avec l’impossible unification de deux théories pourtant indépendamment démontrées (la relativité générale et la physique quantique) ?
N’oublions pas non plus que la science économique est fondée sur une révolution scientifique datant de la fin du XIXème siècle (la révolution dite “marginaliste”), elle-même issue de travaux remontant à 1776 pour les plus anciens… Par comparaison, la loi de la gravitation universelle de Newton est quasiment un siècle plus ancienne… Tout ça pour dire que l’économie est une discipline relativement jeune, ce qui à mon avis jette une lumière assez intéressante sur ce qui lui reste à accomplir.
Mais face à ces limites (bien réelles, et qu’il faut avoir en tête), il faut à tout prix éviter de tomber dans le piège de la pensée hyper-critique, qui est une espèce de version dégénérée et sans pertinence de la pensée critique au cœur de la méthode scientifique. Pour le dire autrement : attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain…
Ce débat étant particulièrement polémique, une petite précision me paraît nécessaire…
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