Donald Trump a récemment annoncé une augmentation des droits de douane sur l’aluminium et l’acier importés aux États-Unis. Le but déclaré est de protéger l’industrie américaine. Pourtant, cette hausse des droits de douane pourrait coûter jusqu’à 30 milliards de dollars par an – dont la moitié supportée par l’industrie américaine.
Avantages et limites du commerce international
Les effets positifs du commerce bilatéral (entre deux pays) libre ont été démontrés par David Ricardo en 1817 avec la théorie des avantages comparatifs. Cette théorie n’étant pas très intuitive, je ne vais pas entrer dans les détails dans cet article. Je vais me contenter de dire deux choses. La première est que la théorie des avantages comparatifs est l’une des théories les plus solides de la science économique. La seconde est de vous renvoyer vers l’article du dictionnaire sur les avantages comparatifs :
[irp posts= »11027″]Depuis 1817, on sait que le commerce international réalisé dans un cadre libre augmente la richesse des deux pays qui échangent. Plus récemment, on a également découvert que le commerce international pouvait modifier la répartition des richesses à l’intérieur des pays – il fait des gagnants et des perdants. En combinant ces deux résultats, on peut dire que les richesses produites augmentent, mais certains groupes peuvent voir leurs revenus diminuer.
Depuis quelques décennies, les classes populaires (et notamment ouvrières) des pays occidentaux voient leur niveau de vie stagner, voire régresser. L’une des questions est de savoir si cette réduction du niveau de vie est due à la mondialisation qui a débuté à la fin des années 1970. Si c’est avéré, une solution pourrait être de fermer à nouveau les frontières, pour augmenter le bien-être des perdants de l’actuelle mondialisation – au détriment du bien-être des actuels gagnants, et avec une réduction globale des richesses produites.
À ma connaissance, les causes du reflux du niveau de vie des classes populaires sont encore discutées : ouverture des frontières, robotisation, ralentissement de l’augmentation de la productivité, différentes hypothèses s’affrontent et n’ont pas (encore ?) été tranchées. Toutefois, cela n’empêche pas certains leaders politiques de vouloir implémenter des fermetures (même limitées) des frontières. C’est le cas de Donald Trump.
Chad Bown, chercheur au Peterson Institute for International Economics (un think-tank américain non-partisan), a calculé que les partenaires commerciaux des États-Unis pourrait perdre jusqu’à 14,2 milliards de dollars de richesse par an si les hausses de droit de douane sont mis en place. Et dans l’hypothèse (probable) où les partenaires américains répliquent avec des augmentations symétriques de droit de douane sur les produits importés des États-Unis, la même perte de richesse pourrait frapper les États-Unis.
L’Organisation Mondiale du Commerce comme arbitre
Le commerce entre les pays est (notamment) régulé par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Lorsqu’un pays augmente de manière unilatérale ses droits de douane, violant ainsi les traités de libre-échange conclus dans le passé, cette dernière autorise les pays victimes à répliquer avec des hausses de droits de douane qui coûteront autant au pays ayant initié la guerre commerciale. L’objectif de cette disposition est clair : dissuader la survenue d’une guerre commerciale, en rendant crédible la menace d’une riposte des pays victimes d’une hausse de droits de douane.
La procédure auprès de l’OMC est longue, mais on peut imaginer qu’une partie des pays touchés par ces hausses répliqueront sans attendre dans un cadre « compatible » avec celui de l’OMC.
Dans le cas présent, de nombreux pays seraient impactés par cette hausse, avec pour certains des coûts assez substantiels :
Ces montants ont été calculés en comparant deux scénarios : un premier sans hausse des droits de douane, un second où est simulé l’impact d’une hausse des droits de douane. Les montants affichés sur le graphique sont la différence de richesse entre ces deux scénarios.
Les limites du calcul
Ces montants étant des estimations, il a parfois fallu poser certaines hypothèses loin d’être évidentes. Par exemple, qu’une augmentation des droits de douane génère une réduction proportionnelle (linéaire) des flux commerciaux. Toutefois, l’auteur n’ayant pas accès aux modèles d’estimation utilisés par le gouvernement américain, il a fallu faire au plus simple.
Par ailleurs, l’estimation de Bown n’est pas exhaustive (mais ça n’était pas son objectif), dans le sens où il manque les gains associés à cette hausse des droits de douane. Pour les États-Unis, il est possible que l’emploi dans le secteur de l’aluminium et l’acier augmente, mais on ne sait pas très bien combien. Cela fera certainement aussi augmenter les profits des entreprises de ce secteur installées sur le sol américain.
Toutefois, d’autres effets négatifs s’ajouteront, notamment des effets que j’appelle d’équilibre général (on pourrait aussi dire systémiques) :
- les prix de l’acier et de l’aluminium vont augmenter, ce qui va réduire le pouvoir d’achat global
- les entreprises qui utilisent acier et aluminium peuvent voir leurs profits diminuer (si elles ne parvienennt pas à répercuter la hausse des prix sur leurs clients)
De manière globale, je vois mal comment les 30 milliards de dollars de pertes annuelles pourraient être compensés par les gains associés aux hausses d’emploi : certes, des emplois seront créés, mais à quel prix ?
Je n’arrive pas à retrouver la référence scientifique, mais des droits de douane sur le sucre américain ont conduit à un coût par emploi créé de l’ordre de 100.000$ par an. Or, si un emploi créé 40.000$ de richesse et qu’il faut dépenser 100.000$ pour le maintenir, il détruit chaque année 60.000$ de richesses. Ces 60.000$ sont perdus, et ne peuvent aller à d’autres dépenses – publiques ou privées.
Malgré les limites des calculs présentés ici, la littérature scientifique sur le commerce international est suffisamment robuste pour dire que cette augmentation des droits de douane ne profitera probablement pas à l’économie américaine – surtout si les pays touchés répliquent, ce qui est fort probable. On est dans un bel exemple de jeu à somme négative, dans lequel il n’y a que des perdants.
La politique décidée par Donald Trump est d’autant plus dangereuse pour l’économie américaine qu’elle va, en priorité, impacter le Canada et le Mexique. Or, les modèles gravitaires sont très clairs sur le fait que l’intensité des flux commerciaux entre deux pays est d’autant plus forte qu’ils sont proches géographiquement – alors que dire s’ils sont voisins… Si ces pays décident de riposter, ils pourraient faire de lourds dégâts à l’économie américaine. C’est probablement pour cette raison que Donald Trump a très vite exempté ces deux pays de hausses de droits de douane…
Potential for retaliation against Trump’s steel and aluminium tariffs | VOX, CEPR’s Policy Portal
President Trump’s announced intention to impose import tariffs of 25% on steel and 10% on aluminium touched off a wave of retaliation threats and trade policy responses from trading partners, including the EU. This column examines the scope for retaliation against the Trump administration’s proposed tariffs under WTO dispute settlement. It estimates that if the sources of all US steel and aluminium imports were part of this dispute, trading partners would be permitted to retaliate by a collective amount of $14.2 billion per year.
voxeu.org/article/potential-retaliation-against-trumps-steel-and-aluminium-tariffs